Une expérience de gouvernance en temps de crise

Adolphe Thiers disait “Gouverner, c’est prévoir”.  

Était-il plus facile de prévoir au 19è qu’au 21è siècle ? Pas si sûr au regard de l’histoire…  Pour autant, il est clair que les “gouvernés” n’avaient pas les mêmes attentes qu’aujourd’hui.  

En effet, depuis l’arrivée de la génération Y dans l’entreprise, les attentes envers les leaders évoluent profondément. La génération Z vient nous bousculer de nouveau, et la suivante fait déjà trembler les organisations. Mais je crois que ces changements ne sont que le reflet d’une société en perpétuel mouvement. 

Alors, quelle gouvernance pour guider nos organisations à travers ce monde où la prévision devient chimérique ? 

C’est à cette question que j’ai voulu répondre en proposant une expérience de management aux salariés d’ARC Industries, PME industrielle que j’ai rachetée en 2016.  

Stéréotype de la génération Y, je suis arrivé avec mes croyances et mes convictions, en ébauchant les traits du manager-type que j’aurais voulu avoir quelques années plus tôt.  

J’ai invité à utiliser l’intelligence collective et la décision collaborative, fait la place à l’expression de l’émotion de chacun et partagé avec la plus grande transparence la stratégie.

Inspirés de concepts établis comme l’entreprise libérée, l’entreprise autonome ou l’holacratie, nous construisons au fil de l’eau notre propre modèle.

L’entreprise se transforme, moi aussi, les salariés sont engagés, les nouveaux projets déroulent... Bref, l’aventure semble belle. Et là… crise du COVID-19 ! 

Dans cette période où nous étions soi-disant “en guerre”, le fils de Colonel que je suis a imaginé prendre la barre tel un “vrai” capitaine qui prend toutes les décisions pendant la tempête.

J’ai choisi – malgré mes craintes - de poursuivre en équipe l’expérience démarrée, et à l’unanimité les collaborateurs ont souhaité conserver nos modes collaboratifs. Nous avons toutefois accepté de confier certaines décisions à des équipes plus réduites afin de gagner en rapidité. Lorsque je serai seul sur une décision, je rendrai compte en transparence à l’ensemble des salariés. Le deal de confiance était établi.

 Durant la fermeture de quelques jours, nous avons poursuivi les échanges à distance, et sommes revenus motivés et préparés.

L’expression de nos émotions telles que la peur de la maladie, la colère envers le gouvernement, jalousie envers ceux restés “au chaud” a été libératrice et a permis un engagement encore plus fort. 

Il reste cependant beaucoup à faire pour capitaliser véritablement sur cette période, et l’ancrer dans notre système d’entreprise. La relecture n’est pas terminée.

Les premières conclusions nous montrent déjà qu’un système où le pari permanent de la confiance, la pratique de l’intelligence collective et du droit à l’erreur reste solide, même à travers la tempête. On sait bien que celle-ci n’est pas finie, et que le brouillard s’épaissit encore. Le test continue donc, grandeur nature.

Et vous, comment voyez-vous votre organisation ? Saura-t-elle s’adapter aux nouveaux écueils, aux nouvelles générations, aux prochaines crises ? 

Pensez-vous encore en cette fin d’année 2020, que gouverner c’est prévoir ? 

Pour ma part, gouverner consiste surtout à partager une stratégie de long terme claire, et à déléguer avec confiance le choix du meilleur scénario à écrire pour la mettre en œuvre.

Mais forcément, ça claque un peu moins que la citation d’Adolphe THIERS !

Romain DE TELLIER
Président d’ARC INDUSTRIES et membre du Comité Exécutif du MEDEF Isère